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Dictateurstop
1 novembre 2005

Dictateurs d'Afrique: Plus d'un siècle de pouvoir

Dictateurs d'Afrique: Plus d'un siècle de pouvoir
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Le Messager, 01-11-2005

Rubrique: Afrique


Le Messager (Douala)

Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Obiang Nguema (Guinée Equatoriale), Idriss Deby (Tchad), Sassou Nguesso (Congo) : à eux tout seuls, ils totalisent plus de cent ans au pouvoir.

Apparemment rien ne semble devoir les éloigner du pouvoir dans un avenir proche. N'ont-ils pas fini par terrasser leurs opposants à coups de blessures ou par voie de corruption ?

L'ancienne puissance coloniale elle-même ne mange-t-elle pas dans leurs mains ?

Nombreux sont, pourtant, ceux de leurs compatriotes qui souhaitent leur disparition, que ce soit sous une forme naturelle (maladie) ou sous une forme criminelle (meurtre, assassinat). Et pour deux ou trois d'entre eux, cette mort naturelle n'est pas loin, en effet.

Nos cinq satrapes règnent sur des entités territoriales qui ne constituent point des Etats dans le sens moderne de ce terme. Certes, en exhibent-elles ici et là quelques attributs apparents. Mais quelle différence entre ce bric-à-brac et ce qui, de nos jours, fait la substance réelle des Etats. Les entités en question sont, en réalité, un mélange de traits propres aux royaumes et chefferies africains pré-coloniaux, quelques aspects hérités des formes coloniales de sujétion, et un vernis des répertoires et idiomes de gouvernement tirés des codes contemporains.

A plusieurs égards, l'Afrique centrale représente le véritable coeur des ténèbres du continent africain. Aucune autre région du globe ne concentre, en un espace aussi restreint, autant de pouvoirs surannés. Comme le suggérait autrefois l'écrivain Joseph Conrad, ici plus qu'ailleurs, bêtise et violence les plus effrontées se sont données rendez-vous. C'est ainsi, qu'il s'agisse de l'aménagement de la vie, de la production des biens, ou de la mise en culture de la société.

En plus de cent ans à la tête de leurs Etats respectifs, nos cinq satrapes ont montré sous quels visages pouvait se cacher la force anéantissante du pouvoir. Et les résultats sont là. Aujourd'hui, dans toute la région, la vie est plus brève que sous la colonisation. Tout le monde se méfie de tout le monde et doit se protéger d'autrui. Ils ont tous peur de mourir.

Car, ici, de fait, l'autorité du pouvoir se fonde sur la peur de la mort. L'autocrate a peur de mourir. Alors, de manière préventive, il tue tous ceux qu'il soupçonne d'attenter à son pouvoir. Blesser et donner la mort deviennent une condition de sa survie.

Ceux qui bénéficieraient à le faire disparaître ont eux aussi peur de mourir. Pour se protéger, ils font tout pour sacrifier la vie des autres à la place de la leur, dans l'espoir qu'ainsi, ils seront épargnés.

Tel est le socle sur lequel repose la culture politique des sociétés de l'Afrique centrale. C'est en très grande partie cette culture qui explique le blocage de leurs systèmes politiques.

L'Afrique centrale dispose de bien plus de ressources que bien d'autres parties du continent. Son potentiel hydrographique est énorme. Elle est riche en forets. Sa diversité écologique est légendaire. A elle toute seule, elle pourrait nourrir les deux tiers de l'Afrique. Ses sols pourraient soutenir un secteur agricole industriel fort varié. Elle regorge de toutes sortes de ressources minérales - le pétrole compris. Elle n'est pas surpeuplée, mais elle dispose, dans l'ensemble, d'une classe de gens relativement bien éduqués.

Qu'elle ne constitue une région dans le sens plein du terme que sur le papier ne relève pas du hasard. Sur le plan historico-géographique, cette partie du continent a toujours été traversée par deux courants. Et d'abord un puissant attrait en direction de l'Atlantique. Ensuite une satellisation par les " pays de l'Islam ", au sein d'un couloir soudano-sahélien dont on sait qu'il a toujours servi d'exacte réplique aux " pays de la forêt ".

La colonisation tenta, sans grande conviction, de gérer cette polarité tout en multipliant ses propres contradictions. Puis, au bout du compte, elle préféra la balkanisation de ces para-Etats à la véritable mise en cohérence qu'exigeait une fédération digne de ce nom. C'est de ces bouts d'Etat dont ont hérité nos satrapes. Et, en plus de cent ans de pouvoir, ils tiennent à ce que les choses demeurent ainsi.

Ainsi, pour se déplacer d'un pays à l'autre, les ressortissants des différents pays de l'Afrique centrale doivent justifier d'un visa - et encore. Aucune route digne de ce nom ne relie une capitale à l'autre. Il n'existe aucun réseau ferroviaire trans-régional. Les communications aériennes sont aléatoires. La fragmentation est quasi-totale que ce soit sur le plan spatial ou culturel. Chaque pays vit en quasi-autarcie, replié sur lui-même et miné par ses propres démons. Pas d'échanges universitaires non plus. Par contre, de temps à autre, l'on assiste à des expulsions massives d' " étrangers " jugés indésirables, après les avoir dépouillé de tous leurs biens.

Les possibilités de création des richesses sont pourtant immenses. Mais encore faut-il, au préalable, s'être débarrassé de bien des contraintes. Les blocages politiques et culturels sont, de ce point de vue, les plus graves.

En théorie, la priorité aujourd'hui est de mettre fin, d'une manière ou d'une autre, aux règnes respectifs des dirigeants tels que MM. Biya, Obiang, Bongo, Nguesso et Déby. Mettre fin à de tels pouvoirs destructifs ne résout pourtant pas, en soi, le problème.

L'on oublie souvent que nos satrapes doivent leur longévité au pouvoir en partie du fait qu'ils ont mis en place des structures de la prédation capables de leur survivre. Ce sont ces structures - et l'état d'esprit qui les porte - qu'il faut démanteler progressivement. On l'a bien vu ailleurs sur le continent, le départ d'un autocrate ne signifie pas forcément le début d'une ère nouvelle. Souvent, c'est l'inverse qui se produit. Le successeur se révèle etre pire que celui auquel il a succédé. Au Cameroun par exemple, c'est ce qu'a bien révélé la transition de Ahmadou Ahidjo à Paul Biya.

Il s'agit donc de réfléchir, de manière plus rigoureuse encore, aux conditions qui pourraient faire en sorte que la fin de l'autocratie ouvre la voie à un véritable renouvellement de la société et de l'économie.

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